Discours d’Édouard Philippe lors du Congrès de Lille
Discours Lille
« Rien n’importe autant que d’assurer, quoi qu’il arrive, la légitimité de l’Etat ».
Mes amis, c’est un plaisir d’être ici, devant vous si nombreux, de retrouver des amis, des compagnons engagés dès le début, dès cette réunion du Havre en octobre 2021, des compagnons qui nous ont rejoints depuis parce qu’ils croient à l’action collective, parce qu’ils croient à la politique, parce qu’ils croient à la France !
Et puis ça me fait plaisir d’être à Lille.
Ceux qui me connaissent le savent, je suis moitié havrais, moitié lillois. Un bon mélange. Un mélange du Nord et de la mer. J’aime Lille. J’aime son accent, l’ambiance de ses bars quand on y prend une bière tard le soir ou tôt le matin, j’aime ses gaufres et le café chaud qu’on vous sert à toute heure de la journée. J’aime la chaleur du nord, j’aime qu’ici on sache que pour avancer il faut travailler, j’aime l’esprit collectif du nord, j’aime la solidarité enracinée ici dans la culture sociale-démocrate et ouvrière aussi bien que dans le gaullisme social et la démocratie chrétienne. J’aime le Furet du Nord et la grande braderie.
Et puis j’aime mes amis du Nord ! Merci mon cher Gérald d’être avec nous aujourd’hui ! Merci Laurent Degallaix, le maire de Valenciennes, le plus joyeux des maires ! Merci Paul et merci Charlotte ! Et haut les cœurs, Violette, pour l’élection municipale de l’année prochaine où nous t’aiderons à remporter une victoire aussi attendue qu’espérée.
« Rien n’importe autant que d’assurer, quoi qu’il arrive, la légitimité de l’Etat ».
Cette phrase du Général m’obsède.
A vrai dire, je comptais vous parler aujourd’hui de méthode. C’est important la méthode. En politique, sans méthode, on parle beaucoup mais on fait peu. Les plus grandes déclarations, les meilleures intuitions restent des mots, parfois justes et parfois utiles, mais des mots si derrière, on ne sait pas organiser l’action. La conquête du pouvoir. L’exercice du pouvoir.
Je comptais vous parler de méthode, mais le monde se rappelle à nous avec une violence sidérante. Et je ne veux pas faire partie de ceux qui regardent ailleurs et se payent de mots pour se rassurer.
Nous vivons, tout le monde le sait ici, en Europe et en France une période décisive. Une période risquée qui voit le monde tel que nous le connaissions se transformer. Une période au terme de laquelle nous pourrions bien nous retrouver totalement dépassés, latéralisés, oubliés.
Je crois que c’est Alain Peyrefitte dans son formidable livre « C’était de Gaulle » qui fait dire au Général que le danger pour la France c’est la « portugalisation », c’est à dire le phénomène implacable par lequel un pays ayant dominé le monde se retrouve rapetissé au point d’être périphérique. Le général, nous dit Peyrefitte, voulait éviter la « portugalisation » de la France. L’expression est un peu rude pour nos amis portugais, dont dieu sait combien ils ont apporté à la France et à l’Europe. Mais l’expression dit bien ce que nous sommes en train de vivre.
Et pire encore. Nous vivons désormais avec une menace dont nous ne devons pas sous-estimer l’importance. Depuis qu’elle a agressé militairement un pays souverain, démocratique et libre, la Russie est devenue une menace. Depuis qu’elle a décidé d’engager une guerre, qui n’est au fond rien d’autre qu’une guerre coloniale, la Russie est devenue une menace. Car ne vous y trompez pas, la logique à l’œuvre chez Poutine, c’est une ambition impériale et une logique coloniale.
Redonner à la Russie l’espace qu’il lui faut pour se protéger à l’ouest. Reprendre le contrôle politique, économique et militaire sur un peuple qui a eu l’impudence de préférer la démocratie occidentale et l’Europe politique à la Russie éternelle.
Face à cette agression, un peuple se bat. Un peuple déterminé. Un peuple qui souffre, dont les enfants meurent mais qui résiste. Une nation, l’Ukraine, qui ne demande qu’une chose, rester libre. Un président, Zelensky, à l’image de son peuple, admirable, digne, en un mot souverain.
Et ce peuple, cette nation, ce Président, sont aujourd’hui trahis par l’Amérique de Trump. Trahis honteusement par des ploutocrates désinvoltes et lointains. Dans le silence assourdissant des pays du sud qui se plaisent si souvent à dénoncer l’impérialisme et le colonialisme occidental. Dans le ravissement de Russes qui n’en demandaient pas tant.
Je ne serai jamais aussi éloquent que notre ami Claude Malhuret sur ce registre. Jamais.
Mais je peux vous dire que comme lui je suis consterné, car comme lui je mesure la vitesse et la dangerosité des engrenages qui peuvent se déclencher.
Et je voudrais, ici, saluer l’action du Président de la République qui, depuis 2017, a placé la question de l’autonomie stratégique de l’Europe au centre de sa politique extérieure. Le Président de la République qui a porté l’augmentation significative des dépenses militaires en assumant que le monde était dangereux et qu’il fallait s’y préparer. Sa détermination et son engagement vont dans le sens de l’intérêt national et européen, et quels que soient nos désaccords sur le plan interne, je veux lui dire ici mon soutien.
Je le dis d’autant plus clairement et nettement que je suis effaré par le contraste entre ses efforts et ce qui se passe réellement dans notre pays.
Contraste entre ce que nous devrions mobiliser pour assurer notre sécurité et ce que notre système politique englué est capable de faire concrètement.
Contraste entre un Président de la République qui appelle, et Dieu sait qu’il a raison, à augmenter notre budget de la Défense face à une menace identifiée et pressante et un conclave sur les retraites qui se contorsionne pour savoir s’il ne faudrait pas quand même un peu revenir à la retraite à 62 ans.
Contraste encore entre la nécessité absolue de nous adapter au monde à la fois plus dangereux et plus incertain dans lequel nous venons de basculer et notre incapacité saisissante à assainir nos finances publiques ou même à assumer nos choix.
Notre pays va consacrer en 2025 plus de moyens à rembourser sa dette qu’à financer sa défense. Nous allons payer pas loin de 55 milliards à nos créanciers, c’est plus que l’ensemble des crédits que nous consacrerons à notre défense. Rembourser des créanciers étrangers plutôt que doter nos armées des moyens de garantir notre sécurité. C’est d’une bêtise à enrager ! Une absurdité historique ! Et il ne tient qu’à nous d’inverser cette logique mortifère.
Oui nous devons comprendre ce qui se passe et en tirer les conséquences.
Les menaces sont là. L’histoire est de retour. Et elle n’est jamais douce, jamais tendre avec les peuples qui ne se donnent pas les moyens de défendre leur liberté. Compter sur les autres pour garantir son existence, c’est s’abandonner. Ce n’est pas le choix de la France. C’est le choix qu’ont fait beaucoup de nos amis européens, et ils en reviennent. Mais ce n’est pas et cela ne devra jamais être le choix de la France !
Je vous le dis. Je ne suis ni un guerrier, ni un va-t-en-guerre. J’ai le plus profond mépris pour tous les pantins qui font des moulinets avec des sabres de bois sur les plateaux de télévision ou sur les estrades. Je souhaite plus que tout que mes enfants et après eux leurs enfants vivent dans une France en paix, et qu’aucun de ceux que j’aime n’ait à connaitre les horreurs de la guerre.
Mais je connais mon histoire.
Je sais que les nations qui ne sont pas prêtes à se défendre, ou pire qui renoncent à se défendre, sont des nations en sursis.
Et la France ne doit jamais être en sursis !
Je le dis donc avec le calme des vieilles troupes, avec la sérénité d’un responsable politique qui sait combien nos armées sont remarquables, avec une détermination féroce qui ne fait que grandir : Nous devons être forts sans quoi nous serons défaits ! Nous devons être puissants sans quoi nous serons méprisés ! Nous devons être solides sans quoi nous serons emportés !
Alors comment être forts, puissants et solides ?
En travaillant plus.
J’entends de plus en plus une petite musique, à la fois douce et acide, consistant à dire qu’il ne serait pas raisonnable de sacrifier notre modèle social à notre effort de réarmement, qu’entre les retraites et la défense il faudra choisir, que la menace n’est pas si nette et que les Français préfèrent la sécurité pour leurs vieux jours, plutôt que la sécurité tout court.
Je préfère le dire, sans jubiler car ce qui nous attend implique des efforts, mais sans m’en excuser, parce que je le pense sincèrement : si nous voulons conserver notre mode de vie, notre solidarité, notre modèle, notre liberté, nous allons devoir nous battre. Pas forcément contre l’ennemi. Mais contre notre propre indolence. Contre notre gout du statu quo.
Nous allons devoir travailler plus.
Nous allons devoir dégager des marges de manœuvre budgétaires.
Le conclave sur les retraites convoqué pour acheter la stabilité politique n’a plus d’objet. Comment imaginer, compte tenu de ce qui est devant nous, que nous puissions consacrer encore plus de moyens à financer un système de retraites à bout de souffle ? Cette discussion en conclave est hors sol. Le Parlement a légiféré. L’urgence est là. Pourquoi laisser perdurer une discussion complètement déconnectée de la réalité sur la réforme Borne ?
Dire cela, ce n’est pas mépriser la démocratie sociale, pas du tout. La démocratie sociale, ce n’est pas de faire parler les partenaires sociaux sur un sujet sur lequel ils n’ont aucune marge de manœuvre, simplement pour garantir aux forces politiques une façon de garder la face. La démocratie sociale, c’est rassembler les organisations syndicales, patronales, pour leur demander comment, compte tenu des nouvelles menaces, nous pouvons nous organiser pour vivifier notre effort productif, pour donner un rôle à chacun, comment nous devons nous adapter à une donne nouvelle. Je suis parfaitement à l’aise avec notre démocratie sociale quand on lui donne du grain à moudre et pas quand on la cantonne sur un tout petit sujet qui n’est plus d’actualité et qui ne donnera lieu à aucune transformation !
Le Premier ministre ferait bien, mes amis, de mettre fin à cette illusion et de reconstruire un accord de stabilité fondé non sur cette discussion sur les retraites mais sur une union nationale autour du réarmement.
Et s’il fallait une discussion avec l’ensemble des forces syndicales et politiques de ce pays, elle devrait bien plus porter sur la façon dont nous devons préparer notre pays à ce monde dangereux, sur le financement de cet effort nécessaire, sur la place que chaque citoyen peut prendre dans cet impératif collectif.
Je plaide pour la mise en place d’un service militaire volontaire, ouvert aux femmes et aux hommes, qui, sans déstabiliser notre armée, pourrait permettre de former 50 000 réservistes supplémentaires par an. L’idée, ce n’est pas de revenir à ce qui existait, au service militaire tel que je l’ai pratiqué, l’idée n’est pas de dire que toute une classe d’âge doit impérativement exercer ses six mois ou son année de service militaire. Nous ne saurions pas l’encadrer, nous n’avons plus la base logistique pour le faire et je ne suis même pas sûr que ce serait indispensable pour les armées. L’idée, c’est de dire : formons chaque année 50 000 personnes, femmes et hommes, à la chose militaire, veillons à ce que pendant cinq ans, chacun d’entre eux puisse être mobilisé pendant un mois pour assurer des missions qui relèvent de la nature militaire, pas nécessairement du combat, mais qui peuvent organiser notre effort de défense. Veillons à ce que la Nation soit reconnaissante vis-à-vis de ces femmes et de ces hommes qui s’engagent et qui acceptent des contraintes en finançant leur projet professionnel ou, qui sait, leurs études.
J’entends dire et je vois au Havre que financer ses études est un effort considérable et c’est vrai, mais peut-être pouvons-nous dire à ces jeunes gens : vous apprendrez des choses pendant votre service volontaire et vous serez accompagnés financièrement pour pouvoir vous épanouir dans la vie et réussir. Il y a là un sujet qu’il faut creuser pour faire prospérer notre pays et renforcer son effort de défense. Permettez-moi de penser mes amis que débattre de ce sujet est infiniment plus utile que de savoir si la loi électorale doit être modifiée à Paris ou à Lyon ou à Marseille.
Il parait que certains n’ont pas apprécié quand j’ai dit qu’il ne se passerait rien pendant deux ans. Mais quand je dis qu’il ne se passera malheureusement pas grand-chose de décisif dans les deux ans, je ne le dis pas pour m’en réjouir. Cela n’a rien d’un défaitisme. C’est l’expression d’une lucidité. D’une lucidité indignée. D’une rage de voir ce pays englué alors que tous ceux qui l’aiment devraient agir, le préparer, le renforcer.
« Sentiment antinational » ai-je cru entendre. Le mot est fort. Je crois que quelqu’un a été piqué que je lui fasse remarquer que le programme de travail des mois à venir paraissait quasiment vide. Notez bien, depuis Bordeaux, le programme de travail des mois à venir a été rendu public. Comment dire… disons que je n’ai pas été frappé par le nombre de ceux qui se plaignaient de sa densité…
Je vais vous dire mes amis, je suis inénervable. Le débat public est fait d’opinions qui ne sont pas toutes convergentes et c’est tant mieux. Je ne crois pas que nous devions nous énerver pour des phrases qui sont plus maladroites que mal-intentionnées.
La France est trop mal en point pour que nous nous énervions sur les petites phrases de ceux qui confondent les discours et l’action. Pour ma part, je pense avoir démontré que lorsqu’il s’agit de réformer, ma main ne tremblait pas.
J’ai réformé dès 2017, plus vite que beaucoup ne le pensaient possible, trop vite même ont dit certains ; j’ai réformé en milieu de mandat, après les gilets jaunes ; et j’ai fait tout mon possible, avant de quitter le gouvernement, pour que le quoi qu’il en coûte, justifié pour lutter contre l’épidémie, ne devienne pas un blanc-seing pour faire n’importe quoi…
Et pendant ces années de réforme, nous avons réduit le déficit, nous avons réduit la dette et nous avons baissé les impôts ! Oui il est possible de réduire le déficit en baissant les impôts. Il faut prendre des décisions difficiles mais assumées. Cher Gérald, toi qui étais ministre du budget à cette époque, tu peux témoigner de la force de la volonté qu’il faut déployer pour contenir la dépense publique.
Bref !
Je suis inénervable.
Donc je ne m’énerve pas.
Mais je me bats. En m’appuyant sur nos forces et en disant lucidement où sont nos faiblesses.
Et le plus grand risque, la plus grande faiblesse, ce n’est pas Trump, ce n’est pas la Chine, ce n’est pas même Poutine. La France est plus riche que la Russie. Et comme l’a dit le Premier ministre polonais Donald Tusk, il est quand même paradoxal que 500 millions d’Européens demandent à 300 millions d’Américains de les défendre contre 140 millions de Russes. Surtout quand on sait que, réunies, les armées européennes sont deux fois plus nombreuses que l’armée russe et que notre budget militaire commun est presque trois fois supérieur !
Le plus grand des risques, ce n’est pas les autres, c’est nous-même. Ce sont nos renoncements, notre peur, notre immobilisme, notre déni, notre impuissance. Le risque, pour la France, ce n’est pas le grand remplacement, c’est le lent effacement.
Et ce lent effacement, il commence par le pire effacement qui soit, celui de l’autorité de l’Etat. Mes amis, où que nous regardions, nous voyons ce contraste saisissant entre un monde qui accélère et notre impuissance à faire avancer les choses, entre des puissances qui avancent, qui agissent brutalement, et un Etat français qui est devenu incapable de finir une autoroute.
Nous en venons à douter de nous.
Nous vivons un moment de désenchantement démocratique.
Et bien je voudrais partager avec vous une conviction forte : ce qui crée le désenchantement démocratique, ce n’est pas la verticalité du pouvoir.
Ce n’est pas la toute-puissance de l’exécutif qu’ont dénoncé (à tort) pendant si longtemps ceux qui n’aiment pas la Vème République.
Ce n’est pas la crise de la représentation.
Non, le désenchantement démocratique c’est le produit de l’impuissance publique.
L’Etat, les représentants du peuple, ne sont plus obéis, ne sont plus écoutés, non pas parce qu’ils n’écouteraient pas assez, pas parce qu’ils ne concerteraient pas assez, mais parce qu’ils ne font rien de leur pouvoir, parce qu’ils sont comme empêchés, par des procédures trop lourdes, des précautions politiques pusillanimes, des contraintes juridiques sédimentées et l’absence à peu près complète de sens de l’intérêt général.
C’est un cercle vicieux : l’Etat n’ose plus agir, l’Etat n’est pas efficace, donc il est critiqué et finit par s’accepter illégitime, alors que dans notre République, il devrait être l’incarnation de la légitimité.
Pour y répondre, il promet de mieux écouter, concerte sur tout, légifère partout et n’agit sur rien, s’alourdit de procédures et de contraintes, se ralentit lui-même, abandonne son autorité à des autorités indépendantes. Et le résultat, c’est qu’il est, plus encore, impuissant. Donc illégitime.
Or, comme le disait le général de Gaulle : « Rien n’importe autant que d’assurer, quoi qu’il arrive, la légitimité́ de l’Etat ».
Et bien moi, ici, à Lille, ville du général de Gaulle, je vous le dis : il faut restaurer la légitimité de l’Etat !
Et pour restaurer la légitimité de l’Etat, il faut imposer son efficacité et restaurer sa force.
Je veux qu’on redonne aux préfets, aux policiers, aux gendarmes, aux professeurs, le pouvoir d’agir. Je veux qu’on leur rende le pouvoir perdu dans les empilements bureaucratiques, normatifs, et le gonflement d’une dépense sociale hors de contrôle. Je veux aussi qu’on les respecte.
Je n’ai pas aimé qu’on jette les hauts fonctionnaires en pâture à l’opinion publique pour finalement simplement renommer l’ENA.
Je n’ai pas aimé qu’on supprime le corps préfectoral et qu’on humilie le quai d’Orsay. Je ne pense pas que nos politiques, intérieures, extérieures, en ont bénéficié. Je pense même, pour tout vous dire, qu’à la fin, comme d’habitude quand on fait de grandes phrases, on a fait là de petites réformes et que loin d’avoir combattu les travers de l’administration, on les a renforcés.
Le Premier ministre réfléchit à élargir le pouvoir de dérogation locale donné au préfet, que j’avais initié. C’est très bien. Je le soutiendrai sans hésiter comme j’ai soutenu sans tergiverser Michel Barnier. Mais la solution ne peut pas être de voter sans cesse plus de lois, tatillonnes, bavardes, anecdotiques, puis de dire aux préfets qu’ils n’ont qu’à y déroger localement…
Notre Constitution demande qu’on distingue la loi et le règlement, c’est-à-dire l’essentiel, qui doit être voté par le Parlement, et le contingent, qui est l’affaire du Gouvernement et doit pouvoir être adapté localement. Cette séparation n’est plus claire dans notre système politique. Il faut y revenir. La remettre sur le métier. Et la loi aura à dire qui, du gouvernement ou des collectivités territoriales, devra préciser les conditions d’application des principes qu’elle se borne à formuler.
Rendre l’autorité à notre Etat, contrairement à ce que croient les hommes soi-disant forts, c’est aussi défendre l’autorité de l’Etat de droit. Ne singeons pas les populistes en critiquant les juges. Si les lois ne nous vont pas, changeons-les.
Prenons l’exemple de l’A69, cette autoroute qui doit être construite entre Toulouse et Castres. Je suis allé sur place, j’ai vu les travaux, ils sont presque finis : l’autoroute devait entrer en service à la fin de l’année. Mais le Tribunal administratif a tout arrêté. Pas d’intérêt public majeur a-t-il considéré. Vous voyez, mes amis, ici, ce n’est pas le juge le problème. C’est la loi. Si la loi était bien faite, elle ne laisserait pas un juge de première instance se prononcer sur l’existence ou non de l’intérêt public majeur d’un projet validé deux fois par le Conseil d’Etat ; si la loi était bien faite, elle ne permettrait pas qu’il y ait encore des mois de procédure avant que ce jugement soit, je l’espère, réformé.
Quand j’étais Premier ministre, j’ai accéléré tous les projets d’énergie renouvelable, non pas pour éviter les contentieux, mais pour qu’on ait rapidement une décision sur les projets d’intérêt national : c’était pour l’environnement, alors ça a été accepté : faisons la même chose pour tous les grands projets d’infrastructure !
Simplifions la loi, allégeons la loi mais restons exemplaires dans le respect de la loi votée par le Parlement et de la chose jugée. Ne nous prêtons jamais à la surenchère des grands et gros mots avec l’extrême droite. Beaucoup d’idées neuves qui font les unes en ce moment me paraissent bien rances. Les Français veulent du sérieux, de l’efficacité. Pour les coups de menton et les bruits de bottes, il y aura toujours plus fort que nous.
Je vous parle d’impuissance de l’Etat. Mais je ne suis pas le seul. Tous les Français que je rencontre me parlent d’impuissance. Tous.
Ils ne sont pas déclinistes ou défaitistes. Ils sont en colère. Les Français sont en colère car ils voient leur pays renoncer peu à peu à être plus grand, plus fort, plus respecté. Ils sont en colère car ils voient leur Etat s’affaisser et s’abaisser.
Ils sont en colère devant l’impuissance publique dont ils mesurent chaque jour l’étendue par mille exemples insupportables, et qui s’immisce dans leur quotidien et dans leur intimité.
Cette impuissance, c’est celle à se faire soigner normalement.
Celle des milliers de mes concitoyens au Havre qui n’ont pas de médecins traitants, celle de ces femmes qui n’ont pas accès à un gynécologue parce que cette spécialité manque cruellement dans certains territoires, celle de ces parents dont les enfants ont des problèmes avérés de santé mentale et qui n’ont pas accès à des consultations de psychiatrie facilement accessibles. Ils paient leur cotisation. Ils sont citoyens. Ils ont des devoirs et des droits. Mais ils n’ont pas accès aux soins. Impuissance corrosive pour la cohésion sociale.
Cette impuissance, c’est celle de ce pécheur rencontré à Thonon-les-bains, chez Anne-Cécile Violland. Un homme formidable qui voulait agrandir son atelier de transformation des poissons, un atelier modeste puisqu’il était seul à pécher et à transformer le produit de sa pêche, un atelier artisanal en somme. Et bien ce pécheur a dû franchir la frontière avec la Suisse, pour s’installer là-bas, parce qu’il était plus rapide, plus facile et moins cher de respecter les normes de nos voisins que celles imposées par notre administration pour qui la pêche est forcément industrielle. Impuissance de l’Etat à appliquer l’esprit de la loi mais jubilation à appliquer sa lettre.
Cette impuissance, c’est celle ressentie par ces parents qui attendent le remplaçant du prof de maths au collège ; c’est celle ressentie par la professeur d’Histoire qui renonce à enseigner la Shoah par peur des réactions de ses élèves, et surtout de leurs parents ; c’est celle constatée par le préfet qui ne parvient pas à faire appliquer une décision de reconduite à la frontière ; c’est celle de ces Français qui ne sont pas de souche comme disent certains mais qui sont aussi français que vous et moi et qui ne trouvent pas de stage pour entrer en apprentissage.
Cette impuissance, tout le monde ici, un jour ou un autre, l’a ressentie. Les maires qui ne savent plus comment faire pour éviter le trafic en bas de cet immeuble dont tout le monde sait qu’il est un point de deal. Les chefs d’entreprise ou les agriculteurs qui mettent en France le triple du temps pour accomplir les formalités nécessaires à la construction d’un entrepôt que ce qui est en vigueur ailleurs, y compris dans des pays de l’Union européenne. Et nous tous ici.
Je ne suis pas entré en politique pour accepter l’infini des renoncements et la douceur des arrangements.
Comme le dit le grand écrivain Boualem Sansal, qui croupit aujourd’hui encore dans une prison algérienne, et à qui nous adressons depuis Lille notre salut fraternel : « Un arrangement n’est qu’un moyen de propager une illusion ».
Nous sommes là, tous ici dans cette salle, pour refuser les grands renoncements et les petits arrangements.
Pour dire au pays qu’entre l’impuissance gestionnaire, les vieilles recettes d’extrême droite, la démagogie de l’extrême gauche, il y a un chemin. Et ce chemin, c’est le nôtre. Celui que notre peuple a su prendre à chaque fois que la Nation a été en difficulté et qu’elle a voulu se relever.
Je suis candidat à la Présidence de la République pour redonner vie à la puissance française.
Remettre son Etat en état.
Redonner à notre pays le gout de la production, du risque, de l’audace.
Relancer la compétitivité de notre économie.
Recréer la confiance et la fierté en la France.
Relever notre pays.
Et ce ne sera pas facile. Et nous allons rencontrer bien des obstacles.
Nous rencontrerons la coalition chagrine de ceux que j’ai appelés les gros chats castrés, revenus de tout, qui nous disent que c’est foutu, qu’on a tout essayé, que la France est un petit pays qui devrait s’endormir à crédit sans faire de vague.
Nous allons rencontrer la coalition de ceux qui rasent gratis, qui vous diront que c’est simple, qu’il n’y a qu’à sortir la tronçonneuse, qu’il n’y a qu’à dire ce que les gens veulent entendre et faire comme Trump car il n’est pas si mal et qu’on pourrait s’en inspirer…
Nous allons rencontrer la coalition de ceux qui sont contre tout, pour qui toute réforme est un recul, tout changement est insupportable, qui bloquent tout parce qu’au fond ils n’ont pas d’imagination pour envisager un avenir meilleur.
Ne vous laissez pas impressionner par les défaitistes, les mous, les mécontents ou les conservateurs.
Ne vous laissez pas séduire par ceux qui sont toujours fascinés par le parti de l’étranger et par la brutalité quand elle s’applique aux autres.
Ne vous laissez pas ébranler par ceux qui vous disent que de toute façon le bloc central n’a plus aucune chance de l’emporter, qu’il est divisé, que l’époque n’est plus aux modérés et aux raisonnables.
Ceux-là n’ont pas vu la France comme je la vois. Ceux-là n’ont pas rencontré les Français comme je les rencontre. Moi je parcours la France, je vois partout des Français qui croient encore en leur pays et en son potentiel. Oui, ils sont inquiets.
Mais ils n’ont pas renoncé à la grandeur !
Ils n’ont pas renoncé à la France !
C’est ces Français-là, ces Français qui ne sont pas résignés, ces Français qui veulent servir leur pays et se demandent tous les jours comment ils peuvent lui être utile que nous allons aller convaincre pendant deux ans. Nous en ferons une grande armée civile pour transformer la France.
***
Pour construire une armée, il faut une stratégie, une méthode, un cap, une organisation, un calendrier.
Commençons par le calendrier.
Avant 2027, il y a 2026. Et en 2026, dans un an tout juste, il y aura des élections importantes, les élections municipales.
Je crois que ces élections municipales seront un moment de vérité.
Un moment de vérité pour notre parti, bien sûr : Horizons est fier d’être un parti enraciné, fort d’un grand nombre d’élus locaux. Cet enracinement, nous voulons le renforcer encore. Sans cet enracinement, la politique n’est plus locale. Et toute politique est d’abord locale.
Un moment de vérité pour moi, qui serai candidat au Havre. Parce que je ne conçois pas d’être candidat aux fonctions suprêmes de la République sans la force et la légitimité de mon enracinement local.
Enfin, ces élections municipales seront aussi décisives pour l’avenir de l’ensemble du bloc central. C’est pour cela que j’ai lancé, à Bordeaux, un appel à la constitution d’un Bloc Républicain et Démocrates avant les municipales.
Tout le monde sait que chez LR, chez Horizons, chez Renaissance, au Parti radical, au Modem, la réflexion sur les municipales est engagée. Tout le monde se dit, en bilatéral, qu’il faudra discuter. Tout le monde vient sonder tout le monde sur ce qui pourrait se passer dans telle ou telle ville. Mais personne ne s’organise.
Je crois comprendre que l’élection interne chez les LR rend difficile cette discussion stratégique.
J’espère qu’après cette élection nous pourrons passer aux choses sérieuses, et constituer ce Bloc Républicain et Démocrate, qui sera utile pour les municipales et indispensable si d’éventuelles législatives devaient être à l’ordre du jour.
Mais sans attendre, je dis à tous ceux qui aiment leur pays et qui veulent le servir de commencer par l’engagement local. La meilleure école de la politique est la commune. C’est probablement la meilleure école de la démocratie aussi. Je le dis notamment aux jeunes qui sont nombreux dans cette salle : la France a besoin de vous, de votre regard, de votre impatience, de votre énergie. Engagez-vous dans ces municipales !
Et après ces municipales viendra le temps le temps de la grande rencontre avec la France et avec les Français sur la base de notre projet.
Ce projet, beaucoup de gens souhaiteraient que je le formule le plus vite possible.
Je comprends.
Mais je ne commencerai à dévoiler ce projet qu’à partir de mai 2026. Un an avant la présidentielle. Avant ce serait trop tôt.
Ce projet sera massif. Car relever le pays impose des décisions tranchées. On ne relèvera pas le pays en vissant un peu ici et en gonflant un peu là. Ne comptez pas sur moi pour les accommodements avec l’impuissance publique.
Ce projet sera court parce que la politique crève de s’occuper de l’anecdotique. Remettre notre pays à l’endroit et redonner à la France les moyens de sa puissance exige qu’on se préoccupe de l’essentiel. Et croyez-moi, si nous remettons d’aplomb les quelques sujets majeurs que nous devons régler, les Français sauront faire usage de leur énergie, de leur inventivité et de leur liberté pour construire et s’épanouir à partir de là.
Ce projet, nous le préparons, avec nos 35 secrétaires nationaux, avec nos groupes de travail, avec nos journées programmatiques. Nous le murissons. Et pour le travailler, nous devons écouter. Les Français bien sûr, et toutes les personnalités extérieures à Horizons qui ont des choses à dire sur le pays. Comment pourrions-nous prétendre rassembler largement si nous n’écoutons pas ce que des personnalités extérieures à Horizons ont à dire : ce que toi, Gérald, tu as à dire, ce que Bruno Retailleau a à dire, ce que des maires y compris venus de la gauche, ont à dire ? Ce que des milliers de Français ont à dire ! Certains nous rejoindront avant les municipales, je l’espère, et contribueront au projet. D’autres nous rejoindront après, et ils pourront l’enrichir. Je n’ai pas la prétention d’être le seul à avoir de bonnes idées pour le pays.
A partir de mai 2026, sur la base de ce projet, donc, je consulterai les forces politiques et sociales.
J’inviterai tous les partis du bloc central à discuter et à construire sur les grands sujets politiques : l’école, la justice, la santé, l’organisation des pouvoirs publics, la trajectoire écologique que je mettrai au cœur de mon projet.
J’inviterai les syndicats à dialoguer sur les retraites, le travail, le financement de notre protection sociale.
Je dirai aussi, avant l’élection, les grands choix que je propose en matière de politique de défense et de politique extérieure.
Parce que moi, ce que je veux, pour reprendre une formule aussi belle que juste de Nicolas Sarkozy, c’est tout dire avant pour pouvoir tout faire après…
Si les Français nous font confiance, nous agirons avec force, vitesse et détermination. Parce que si je crois à la concertation avant l’élection, je sais qu’après l’élection doit venir le temps de l’action.
Après l’élection présidentielle, je le dis, je l’assume : nous utiliserons tous les outils que nous offre la Constitution. Cette Constitution est un trésor pour ceux qui souhaitent avancer dans le sens de l’intérêt général ! Utilisons toute sa puissance, n’ayons pas peur du peuple !
J’aurai bien sûr à dissoudre l’Assemblée, qui a démontré qu’elle ne peut dégager de majorité pour agir.
Je convoquerai les élections législatives en juin à une date qui permettra de tenir, au premier tour puis au second, un référendum. Pourquoi ? Toujours à cause de la légitimité.
Je suis attaché à l’efficacité de l’Etat, je crois que les Français veulent un président sachant cheffer, comme disait Chirac, mais je ne suis pas un admirateur des dictateurs : le temps démocratique et médiatique est devenu fébrile et court ; la polarisation de la vie politique fait qu’on est élu par des gens qui ne partagent pas toutes vos idées.
En particulier, le Président est élu au deuxième tour par des Français qui ont parfois voté plus contre son adversaire que pour lui. C’est arrivé.
Ces électeurs-là ne peuvent pas s’estimer tenus par le programme du premier tour. On peut se raconter l’histoire qu’en élisant au deuxième tour un candidat ils valident son programme de premier tour, mais c’est au prix d’un mensonge intéressé et d’une incompréhension durablement dangereuse pour la suite.
Ces référendums, je les ferai donc en début de mandat, sur les sujets difficiles.
Un référendum sur la réforme de notre système de retraites, autour de trois régimes, privé, public, indépendant.
Chaque régime devra être équilibré, y compris par l’introduction d’une dose de capitalisation collective, comme tu as raison de le suggérer cher Gérald. Et je propose de confier la totalité de la gestion du régime privé aux partenaires sociaux, sans possibilité de déficit, comme ils le font très bien pour l’Agircc/Arrco.
Un référendum sur l’organisation institutionnelle et administrative de notre pays, et notamment l’inscription dans la Constitution d’une règle d’or, permettant de limiter enfin le déficit public et d’engager la restauration de nos finances. Je propose pour ma part une règle simple : qu’on se donne une trajectoire sur 10 ans pour remettre nos comptes en ordre, en excluant les dépenses militaires, et qu’il faille une majorité des deux tiers du parlement pour y déroger.
Nous prendrons également une série d’ordonnances, dont l’habilitation pourra être confiée au Gouvernement par référendum, afin de modifier la façon dont fonctionnent notre justice, notre école et notre système de santé, qui sont les trois services publics qui doivent être considérablement et rapidement réformés.
Mais voyez-vous, je m’enthousiasme et si je ne me contrôle pas, je vais finir par vous parler du programme. Je m’interromps donc.
A Bordeaux, certains s’en souviennent, j’avais promis que je citerai Marguerite Yourcenar à Lille. Yourcenar disait que dans les périodes de crises, de guerres, quand on affronte ce qu’elle appelait un « mauvais quart d’heure de l’histoire », il ne fallait pas regarder sans rien faire cet « avenir vociférant et sûr de soi » qui voudrait nous faire croire qu’il a déjà gagné alors que nous portons en nous des forces bien plus puissantes de résistance et de création.
Et en cherchant ce que je pouvais dire d’elle, j’ai trouvé ce texte qui s’appelle « Les yeux ouverts », dans lequel celle, qui était une pionnière de l’écologie, rappelle que Rome « est morte de l’épuisement de ses finances et de ses terres autant que des invasions barbares », exactement « comme meurent les Etats modernes ». Alors gardons, nous aussi, les yeux ouverts pour que l’épuisement de nos finances et de nos terres ne creuse pas les fondations de notre effondrement.
Mes amis, le chemin qui commence aujourd’hui est un chemin de vérité et de redressement pour les Français.
J’ai besoin de vous, j’ai besoin de votre force, j’ai besoin de votre enthousiasme. En vérité, c’est la France qui a besoin de vous pour créer les conditions de son redressement.
Je vous le disais à Bordeaux : deux ans, c’est long. Et bien je vous le dis à Lille : deux ans, ça va aller très vite ! Nous avons des troupes, nous avons des idées et de l’ambition, nous avons une colonne vertébrale de valeurs, nous avons des échéances, nous avons une méthode.
A nous de jouer.
Haut les cœurs !
Vive la République et Vive la France !