Discours d’Edouard Philippe lors du Congrès de Bordeaux

Bordeaux
Discours d’Édouard Philippe
Le 26 janvier 2025
Quelle semaine !
Commencée lundi, à Washington, avec la prise de fonction de Donald Trump. Et qui se termine, dimanche, à Bordeaux, avec le premier congrès régional d’Horizons.
Lundi, à l’intérieur du Capitole, devant ses troupes, devant ses prédécesseurs, devant des chefs d’Etat et de gouvernements étrangers, devant tous les leaders de la Tech, devant les caméras du monde entier, Trump est devenu, pour la deuxième fois, Président des Etats Unis.
Et je crois pouvoir dire que de ce côté-ci de l’Atlantique, nous avons assisté à ce spectacle en étant submergé par une vague de sentiments mêlés.
Inquiétude, sidération, colère, surprise, envie, admiration, peur, déni, stupéfaction : parfois tout cela ensemble.
Mes amis, l’accession de Donald Trump au pouvoir n’est pas une petite affaire. C’est la victoire d’une nouvelle forme d’action politique qu’on voit aussi se développer aussi en Europe. C’est surtout la victoire de l’ambition impériale aux Etats-Unis. C’est l’impérialisme dans toute sa splendeur. Et c’est le signe d’un basculement dont nous aurions grand tort de le sous-estimer.
En vérité, la tentation impériale n’est pas nouvelle aux Etats Unis.
Mais Trump c’est autre chose.
Trump c’est la menace d’une prise de possession du canal de Panama, c’est la pression sur le Canada, pays voisin, pays allié, c’est la volonté de prendre le contrôle du Groenland, un territoire intimement lié à l’Union européenne. Ce n’est ni plus ni moins que la remise en cause des frontières telles qu’elles existent.
Erdogan, le président Turc, évoque parfois, lorsque ses interlocuteurs occidentaux lui rappellent le principe du respect des frontières telles qu’elles existent, qu’il faut prendre en compte « les frontières du coeur ». Et Erdogan, comme Trump, semble avoir en la matière un coeur sans limites !
Trump c’est une conception de la diplomatie fondée sur quelques principes simples :
– « Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable »
– « Ce qui est mon intérêt est légitime, ce qui est ton intérêt est un problème »
– « Pour faire un bon allié, il faut d’abord un bon client »
Trump qui sort de l’OMS et se retire des accords de Paris, c’est la remise en cause, frontale, du principe du multilatéralisme et de l’idée d’une action concertée face aux épidémies et au changement climatique.
Trump qui tel un César s’appuyant sur la foule et sur la technologie, sur les réseaux sociaux et les cryptomonnaies, assume avec une franche brutalité un néo impérialisme décomplexé. Trump qui affiche une volonté de puissance totale, qui remet en cause l’indépendance des juges, qui jubile à l’idée de réduire les droits des femmes, qui écrase tous les contre pouvoirs au coeur de la démocratie libérale, qui réfute la science et les lumières en nommant un ministre de la santé antivax et une ministre de l’éducation spécialiste du catch. Trump qui fait revivre le mythe de la nouvelle frontière, une nouvelle frontière qui n’est plus à l’ouest, qui n’est plus la Lune mais qui nous sépare de Mars.
Et avec Mars ça repart !
Les plus jeunes n’ont pas la référence.
Ce n’est plus America first, c’est America only !
Trump propose au monde la vassalisation heureuse ou le rapport de force brutal : aux faibles l’écrasement et à ceux qui résistent la rétorsion douanière.
Nous savions qu’à l’Est, des régimes qui méprisent les démocraties libérales affirmaient leur volonté de puissance. La Chine, qui veut devenir la première puissance mondiale. La Russie, qui veut redevenir la puissance qu’elle aurait aimé ne jamais cesser d’être et qui est capable de livrer une guerre meurtrière pour éviter que l’Ukraine bascule définitivement dans le camp occidental. La Turquie, qui veut aussi redevenir la puissance dominante de la Méditerrannée orientale et du Proche Orient.
Voilà qu’à l’Ouest, il y a du nouveau. Et pas forcément du bon nouveau.
Alors bien sûr, je ne dis pas que l’Amérique vaut la Russie. Bien sûr que non. Je ne mets pas sur le même pied les Etats Unis et la Chine.
Mais je vois dans le monde des logiques impériales qui s’affirment.
Je vois des politiques étrangères fondées sur la domination et la soumission bien plus que sur la coopération.
Je vois une Chine obnubilée par son ambition et une Amérique obnubilée par la Chine.
Et ce que je vois m’inquiète.
Et ce que j’entends m’inquiète aussi.
Je crois même que ce que j’entends m’inquiète plus encore que ce que je vois.
Ce que j’entends, c’est le silence assourdissant d’une Europe tétanisée.
Ce que j’entends, ce sont les petits signaux misérables de ceux qui sont prêts à préserver leur confort contre un hamburger. Ils ne sont pas si différents de ceux qui étaient prêts hier à renoncer à la liberté de l’Ukraine contre un peu de gaz russe et un sourire du Kremlin.
Ce que j’entends, c’est l’immobilité européenne là où l’Amérique se propose d’avancer dans un vacarme fracassant.
Ce que j’entends, ce sont les soi-disant patriotes qui, en Europe, sont tellement fascinés par les hommes forts, hier Poutine, aujourd’hui Trump, qu’ils en oublient toujours les intérêts de leur pays,
Ce que j’entends, c’est le murmure de voix européennes dissonantes qui ne savent pas encore s’accorder pour parler fermement à un Etat allié qui les teste avant de les soumettre.
Ce que j’entends, c’est le blocage Français et l’indécision européenne.
Mes amis, nous vivons une période de dangers et de menaces, et de tous les dangers et de toutes les menaces, les plus dangereux sont l’absence de lucidité, le découragement et la désinvolture.
Alors soyons lucides.
Tandis que le monde avance, nous sommes englués.
Englués dans une crise politique nationale qui nous coute cher.
Englués dans un débat public qui préfère le spectaculaire au profond.
Englués dans un déclassement économique qui résulte de notre incapacité à regarder la réalité en face.
La France vit en ce moment un double décrochage : nous décrochons vis à vis de l’Europe qui elle même décroche du reste du monde.
Au cours des 8 dernières années, 53% de tous les investissements industriels qui ont été réalisés dans le monde l’ont été en Asie ; 17% ont été réalisés aux Etats Unis. 8% en Europe. Alors bien sur nous avons inversé la tendance de la désindustrialisation en France, mais lorsque nous avançons d’un pas, nos concurrents font des kilomètres.
Pour la première fois depuis qu’il y a une industrie en Europe, pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, l’Europe dans son ensemble se trouve en concurrence avec des pays où les coûts sont moins chers et où il n’y a plus de retard technologique, au contraire. Cela fait longtemps que la Chine ne copie plus et qu’elle innove, voire, dans certains domaines, qu’elle a 15 ans d’avance sur nous. Et elle est toujours moins chère. Le temps où nous pouvions nous réfugier derrière notre excellence technologique est révolu depuis déjà 15 ans. Dans ce monde de compétition féroce, nous travaillons moins, nous innovons moins, nous investissons moins que les autres. Et nous faisons comme si cela pouvait durer.
L’écrivain Kamel Daoud que j’ai rencontré au Havre la semaine dernière me disait : « En France, l’intelligence c’est souvent le pessimisme ». Je déteste les pessimistes. Mais j’aime la lucidité. Et je vous le dis calmement et avec beaucoup de gravité : ce qui se joue aujourd’hui c’est notre capacité à rester libres. C’est notre capacité à refuser que nos enfants soient les esclaves de la Chine ou des Etats-Unis. Nous pouvons choisir de ne rien faire et de sortir de l’Histoire. Ou de nous battre pour rester maîtres de notre destin. Par nature et par tempérament, je préfère me battre.
Il est donc temps que nous nous ressaisissions. Vraiment.
En commençant par protéger l’un de nos actifs les plus précieux : notre marché. Plus de 500 millions de consommateurs vivant dans des pays plus riches que la moyenne. Ça n’a l’air de rien mais c’est un actif formidable et convoité.
L’équation est simple : les Etats-Unis se ferment alors que la Chine dispose de millions de voitures électriques, de panneaux solaires et de batteries à écouler. Elle se tourne vers l’Europe pour inonder notre marché. Si nous ne faisons rien face à cette déferlante, notre industrie sera laminée en quelques années. Il faut donc nous protéger. Ça n’est pas si simple. Cela veut dire payer plus chers des biens que nous aimons acheter. Cela veut dire réussir à aligner tous les pays européens autour des mêmes priorités, alors que leurs intérêts ne sont pas toujours convergents. Et le temps presse.
Cela veut dire mettre en oeuvre l’excellent rapport de Mario Draghi qui appelle à un immense effort d’investissement dans l’avenir de l’Europe.
Cela veut dire mettre fin à trois conforts européens qui sont devenus des boulets dans un monde brutal et sans merci.
Le premier de ces conforts a été de toujours privilégier la consommation sur la production. Depuis 40 ans nous avons préféré consommer à moindre coût que de garder nos usines. Et nous le payons aujourd’hui. La fragmentation de nos industries européennes favorise les effets d’échelle américain et chinois. Les Européens doivent repenser leur politique de concurrence qui a favorisé les prix bas pour le consommateur contre l’émergence de champions européens. L’intérêt des citoyens européens, c’est aussi la création de grandes entreprises mondiales, notamment dans les secteurs qui demandent des investissements de long terme, comme les télécoms, l’IA, les technologies de système de défense.
Le deuxième confort européen c’est de déléguer notre sécurité aux Etats-Unis. Ou plutôt de leur acheter notre sécurité. Il faut cesser de séparer notre politique commerciale et notre politique étrangère et de sécurité. En matière de défense, les EU dépensent trois à quatre fois plus que l’UE et achètent quasi-exclusivement à des entreprises américaines alors que l’UE achète 80% en dehors de l’Europe, dont les deux tiers aux Etats-Unis. Sébastien Lecornu a entièrement raison lorsqu’il dit qu’utiliser l’argent des contribuables européens pour financer des équipements militaires non européens est une aberration historique.
Pour tenir tête aux superpuissances américaine et chinoise, l’Europe doit apprendre à entrer la tête haute dans le rapport de force, sans courber systématiquement l’échine avec tous types de concessions préventives comme l’ont fait Ursula von der Leyen et Christine Lagarde juste après l’élection du président américain en invitant à acheter du GNL américain ou à écouter Washington sur la Chine.
Parler le langage de la force, ce n’est pas renoncer au droit.
C’est le troisième confort européen. Croire que la norme pouvait remplacer l’action, que le droit pouvait remplacer la volonté. Oui, l’Europe est le continent du droit, et nous en sommes fiers, mais le droit ce n’est ni la lenteur, ni la faiblesse, ni la paralysie. Et malheureusement notre passion de la norme est devenue une faiblesse face à ceux qui ont la passion de l’action.
Aux Etats Unis, TiK ToK a été fermé et réouvert en quelques heures. En France, nous avons voté en 2023 à l’initiative du groupe Horizons et de Laurent Marcangeli une bonne loi qui visait à limiter l’accès aux réseaux sociaux pour les mineurs. Depuis deux ans, cette loi n’est pas appliquée dans l’attente du feu vert des autorités européennes. Nous avons l’air de quoi ? Comment voulez-vous que les Français croient à la politique si nous n’arrivons pas à faire appliquer des lois votées par notre Parlement ?
Mes amis, nous sommes tous ici des Européens convaincus.
Nous sommes tous convaincus que pour défendre leurs intérêts et leur vision du monde sur la scène internationale, les nations européennes et les citoyens européens ont tout intérêt à agir ensemble, à coopérer toujours plus étroitement, à faire fructifier par des échanges toujours plus intenses leur intelligence et leurs ressources. Notre intuition et notre conviction se rejoignent, dans nos tripes et dans têtes, pour dire que l’Europe est une chance pour nous. Une garantie pour que nous vivions en paix, une condition de notre prospérité et un pilier de notre souveraineté dans un monde où vont s’affronter des logiques impériales.
Nous ne le disons pas seulement au moment des élections européennes.
Nous n’avons pas l’Europe honteuse.
Nous avons l’Europe exigeante, pas parce qu’elle nous ennuie, mais parce qu’elle nous est indispensable. Pas parce qu’elle nous dérange, mais parce que nous en avons besoin.
Et c’est pour cela que nous ne voulons pas qu’elle décroche.
C’est pour cela que nous voulons qu’elle ne soit plus le continent de l’immobilisme et de la peur, mais de l’innovation, de l’avenir, du rêve et du progrès. Nous avons été à l’avant-garde de l’invention, du courage et de l’audace humaine pendant des siècles, retrouvons cette invention, ce courage et cette audace !
Nous sommes des Européens convaincus, mais nous sommes aussi et surtout des patriotes. Et la lucidité commande de dire que nous n’aurons aucun résultat en Europe si nous ne restaurons pas notre puissance française. L’Europe n’est pas une invocation. Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise ou de s’agiter à cette tribune pour qu’elle agisse. L’Europe est toujours un effort, et souvent un effort de la France. Et malheureusement la France est elle même, pour des raisons qui lui sont propres, engluée dans un immobilisme dangereux.
Mes amis, nous sommes le 26.
Comme le mois de janvier n’est pas terminé, je pourrais vous souhaiter à tous une excellente année. Et du reste, je souhaite sincèrement qu’elle soit excellente pour vous tous. Pour nous tous.
Mais qu’est ce qu’elle s’annonce compliquée pour notre pays !
Le gouvernement commence l’année sans majorité à l’Assemblée et sans budget adopté.
La France commence l’année avec une démographie historiquement basse. 663 000 bébés sont nés en 2024. Lorsque je suis né en 1970, nous étions 850 000.
La France commence l’année avec une dette historiquement haute et un déficit sans équivalent en Europe.
Entre le 1er janvier 2024 et le 1er janvier 2025, 4 Premiers ministres se sont succédés. 4. Autant qu’entre 1958 et 1972. La Vème République avait été conçue pour mettre un terme à l’instabilité ministérielle de la IVème ; le régime des partis l’a transformée en l’ombre d’elle même. Elle devait permettre au Président de la République de fixer un cap clair et au gouvernement de mettre en oeuvre des politiques publiques nécessaires. La voilà devenue prisonnière des manoeuvres partisanes, des tractations des groupes politiques, des faux semblants et des vrais forbans. « Les carpes du Palais-Bourbon qui chérissent leur boue profonde » selon l’expression de Mauriac dans ses carnets.
Mauriac était Bordelais, c’est pour cela que je le cite. A Bordeaux on peut citer Montaigne, Montesquieu et Mauriac. A Lille, promis, je citerai Yourcenar et de Gaulle. Mais ici à Bordeaux, on fait dans le bordelais.
Et on peut avoir une pensée émue pour quelqu’un qui fut un maire exceptionnel et un patron admirable, même si on ne le cite pas, parce que ça ne se fait pas de citer dans un congrès de parti politique un membre du conseil constitutionnel qui doit se situer au dessus de la mêlée.
Donc je ne cite pas son nom…
Mais c’est vrai que j’ai toujours été impressionné par les transformations spectaculaires de Bordeaux quand Alain Juppé était maire de cette ville magnifique.
Mes amis, nous devrions repenser la sécurité sociale, reconstruire notre école, relancer notre industrie, sauver notre agriculture de l’effondrement productif, nous devrions adapter notre littoral à la montée des eaux qui finira par bouleverser la vie de millions de nos concitoyens, et c’est le maire du Havre qui vous le dit, et ici à Bordeaux, vous ne serez pas épargnés, nous devrions investir dans de nouveaux modes de transports et encourager toutes les administrations et les entreprises à repenser leur activité à la lumière des possibilités démentielles de l’IA.
Nous devrions faire tout cela et nous ratiocinons sur les mesures à mettre en oeuvre pour contenir le déficit afin de préserver l’accord implicite de non censure par l’aile du parti socialiste qui se demande combien de temps elle peut résister à la pression des insoumis et des écologistes. Le résultat, malheureusement, c’est un consensus général pour augmenter encore les impôts ; un consensus général pour supprimer les investissements d’avenir ; un consensus général pour conserver toutes les autres dépenses. On dirait que notre pays est devenu un pays de vaches sacrées.
On raconte qu’à Constantinople, juste avant la chute, on discutait de la question du sexe des anges. Notre époque aime moins le sacré mais elle sait tout aussi bien tourner la tête lorsqu’elle a du mal à regarder la réalité en face.
Alors bien sur chez Horizons, nous soutenons le gouvernement. Bien sûr nous savons qu’il faut stabiliser l’ensemble des forces politiques qui peuvent gouverner ensemble.
En 2022, nous avons proposé, les premiers, et bien seuls, une coalition entre la majorité relative et les LR. Cette coalition aurait rassemblé 310 parlementaires. Majorité absolue. Il suffisait de s’entendre. Personne n’a voulu faire l’effort.
En 2024, nous avons indiqué, avant les élections, qu’il faudrait rassembler large, de la droite conservatrice à la gauche sociale démocrate, pour pouvoir stabiliser. Tout le monde est arrivé avec ses lignes rouges. Personne n’a souhaité construire un accord de gouvernement. Michel Barnier, que je salue amicalement et qui sait combien j’ai de l’estime pour lui, Michel Barnier qui sait ce qu’est une coalition, n’a pas réussi à convaincre nos partenaires de discuter puis de conclure un accord de gouvernement. Michel Barnier qui a été censuré par la coalition baroque et triste des parlementaires du Rassemblement national et de l’Union de la gauche.
En 2025, nous soutenons le gouvernement.
Nous voulons le faire clairement, parce que la stabilité politique est essentielle au pays. Nous voulons le faire clairement parce que nous voyons des choses que nous aimons, comme la fermeté de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin, comme le sens du dialogue social d’Astrid Panosyan Bouvet, comme la constance de Sébastien Lecornu, comme l’habileté intelligente de Laurent Marcangeli, sans oublier l’engagement déterminé de Charlotte Parmentier Lecoq.
Nous soutenons le gouvernement et nous le faisons à notre façon.
Sans afficher des lignes rouges, mais en défendant des lignes claires.
Sans menacer, mais en étant déterminé à faire valoir les idées auxquelles nous croyons. Sans renoncer à construire des compromis, mais en étant résolus à ne pas verser dans la compromission. Sans illusion malheureusement sur le fait que nous ne ferons rien de décisif dans les deux ans qui viennent.
Oh nous aurons un budget. Le Premier ministre a affiché un objectif de déficit à hauteur de 5,4%. On verra. Entre la croissance qui est faible et les compromis qui coutent de plus en plus chers, on verra où notre addiction pour la dépense nous conduit. La stabilité du gouvernement a de la valeur, elle a donc un prix. Mais ce prix, soyons clairs, a des limites.
Oh nos services publics fonctionneront. Bien parfois, et il faut s’en réjouir. Mal trop souvent et cela ne fera que nourrir la colère et l’amertume de nos concitoyens.
Et la société du spectacle continuera à provoquer des clash, à provoquer des rivalités et des viralités sur les réseaux, à sonder, à commenter, à dénoncer, à interpeler, à insulter, à tronquer les raisonnements pour faire des petites phrases et à faire de longues phrases pour distiller de petites idées.
Mais rien de décisif, rien de massif, rien d’essentiel, je le crains, ne pourra être accompli dans les deux ans qui viennent. Sans mandat clair, sans majorité ferme, sans contrat de gouvernement solide, comment trancher ? Comment rompre ? Comment gouverner ?
Deux ans.
C’est long, deux ans.
Il peut s’en passer des choses en deux ans.
En deux ans, OpenAI, l’entreprise qui a produit Chatgpt, est passée d’une valeur de presque rien à une valeur de 157 milliards de dollars.
En deux ans, l’Inde fait presque autant de bébés qu’il n’y a de Français.
En deux ans, la Chine construit près de 5000 km de ligne ferroviaire à grande vitesse. Au Havre nous parlons de la ligne nouvelle vers Paris (180 km) depuis 2009. Et ici à Bordeaux, on ne sait pas quand le grand projet vers Toulouse et Biarritz sera achevé.
En deux ans le monde va avancer vite et sans nous attendre.
Cela peut être long deux ans.
Deux ans à écouter ceux qui se résigneront. Deux ans à supporter ceux qui pour excuser leur inaction diront qu’il faut bien gagner du temps.
Mauriac, toujours lui, disait « Il n’est pas d’expression plus trompeuse dans notre langue que “gagner du temps”. En politique, gagner du temps, c’est le perdre au sens absolu : c’est gâcher d’avance le temps qui sera vécu par nos enfants, lorsque notre génération aura passé la main ».
Formidable Mauriac.
Vous savez ce que disait de Gaulle de Mauriac ?
Dans un conseil des ministres qui précédait la cérémonie au cours de laquelle le général allait élever François Mauriac à la dignité de grand crois de la légion d’honneur, le général, qui avait Malraux à sa droite, déclare : « N’oublions pas que Mauriac est le plus grand écrivain français vivant » . Vous imaginez la tête de Malraux… crispation autour de la table du conseil des ministres… jusqu’à ce que le général ajoute « les personnes présentes étant toujours exceptées ».
Mais revenons à aujourd’hui. Revenons à la France telle que nous la vivons. Et posons nous la question essentielle, la seule question qui vaille en politique, que faire ?
D’abord, rien qui ne puisse envenimer la situation. La France est malade. Face à un malade, la première règle est « ne pas nuire ». C’est ce que savent tous les médecins. C’est ce que nous devons tacher de faire. Ne pas prendre de décisions qui rendraient la France plus instable ou plus faible encore. Ne pas accélérer la glissade budgétaire à défaut de rétablir les comptes. Ne pas jouer plus encore avec les institutions. On nous disait « si tous les partis étaient représentés au Parlement de façon proportionnelle, on aurait enfin une démocratie apaisée, capable de bâtir des compromis ». Je n’ai pas cette impression. Et je ne voudrais pas que par une réforme de circonstances, on s’interdise d’avoir demain une majorité stable dont nous aurons besoin pour faire repartir le pays.
Tachons, ça et là, de faire bien, de mettre en place les éléments qui permettront, demain, de rebondir. Préparer le terrain politique ou les conditions techniques de réformes impossibles à mettre en oeuvre aujourd’hui mais que nous porterons demain. Et je crains que cela soit tout.
On nous dira, c’est bien peu ! Vous êtes résignés ! Vous êtes découragés !
Croyez moi, le découragement ne fait pas partie de la gamme d’émotions que je m’autorise.
Ce qu’il nous faut préparer exige au contraire du courage et de la ténacité. Ce à quoi vous vous êtes engagés en rejoignant Horizons, c’est à refaire de la France une Puissance.
Oui, une Puissance !
Nous voulons redonner à la France les moyens de sa puissance ! Pas pour agresser les autres, mais pour être partout respecté. Pas pour dominer nos voisins mais pour ne jamais avoir à nous soumettre à eux. Pas pour exhiber nos richesses mais pour pouvoir garantir la prospérité et la qualité de vie à laquelle nous aspirons tous. Pas pour prétendre que nous aurions raison contre tous, mais pour assurer que nous puissions penser comme nous voulons.
Notre Occident tourmenté par son Histoire a longtemps été inhibé par les pages sombres de son histoire. Et avec cette espèce de morosité nostalgique, de mauvaise conscience sans cesse rabachée, il a laissé s’installer l’idée que vouloir être puissant, c’était mal. Dépassé. Ridicule. Impossible. Indésirable.
Et bien non !
Nous devons redonner à la France les moyens de sa puissance.
Et cela passe par une reprise en main complète. Par des mesures massives. Par un sursaut qui fera du bruit. Par une lucidité exigeante. Par un effort de vérité, celle qui se fonde sur l’analyse des faits et non sur des constructions idéologiques. Celle qui sait dire « je ne sais pas » et qui ne fait pas mine d’avoir un avis sur tout. C’est en disant la vérité aux Français que nous pourrons leur demander un mandat clair pour, comme l’avait dit Georges Pompidou, trancher quelques nœuds gordiens et de faire les grands choix de société que nous avons trop longtemps repoussés.
La vérité c’est d’abord de dire que dans notre pays, nous nous en sortirons par le travail. Sans le travail, rien n’est possible. Or, nous avons créé au fil des années un système social qui décourage le travail, parce que le poids de notre démographie déclinante pèse presque entièrement sur les travailleurs. Il s’est même trouvé des économistes, et des ministres socialistes, pour faire croire aux Français qu’en travaillant moins longtemps la semaine et moins longtemps tout au long de la vie, on pourrait gagner plus. La vérité est que notre pouvoir d’achat a décliné nettement par rapport à celui des allemands ou des hollandais ou des danois, non pas parce que nos voisins sont plus intelligents que nous mais parce qu’ils travaillent plus que nous.
Mais nous avons malheureusement été plus loin. Nous avons laissé prospérer une grande absurdité française : pour corriger les effets de ce mauvais système sur l’emploi, nous avons multiplié les exonérations de charge sur les bas salaires et enfermé plus de 3 millions de Français au niveau du SMIC. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons créé des filets de sécurité qui font qu’en ne travaillant pas, on peut aujourd’hui avoir un niveau de vie pas très éloigné d’un travailleur au SMIC. La réalité elle est celle-là : beaucoup d’inactifs en-dessous mais pas très loin du SMIC, beaucoup d’actifs au-dessus mais pas très loin du SMIC. Vous avez là le résumé du grand malaise français.
Notre objectif est simple : faire en sorte que les Français travaillent plus, gagnent plus individuellement et nourrissent ce faisant la prospérité collective.
Pour cela, nous devrons transformer le financement de la protection sociale ; libérer le travail et donner un grand bol d’air aux travailleurs ; faire entrer notre modèle social dans le XXIème siècle avant qu’il ne meurt en nous entrainant dans sa chute ; reprendre globalement le modèle des retraites pour offrir plus de liberté et de sécurité à chacun tout en garantissant la solidarité entre les générations et entre les Français qui est au coeur de notre conception de la société.
La vérité c’est de dire que nous allons demander aux Français de faire le choix de la jeunesse.
Notre jeunesse est la grande sacrifiée des dernières années. Notre école décline depuis 20 ans et nous ne réagissons que trop peu. L’ère des écrans et des réseaux incontrôlés détruit la concentration de nos enfants et met en danger leur équilibre psychique et social. Pendant le Covid, nous avons enfermé les jeunes pour sauver les plus âgés, créant chez eux bien plus probablement que chez les Quadra ou les Quinqua des traumatismes qui n’ont pas fini de se manifester, et nous allons leur laisser en prime la facture d’une dette jamais atteinte en temps de paix.
Les jeunes actifs entrent sur un marché du travail où il faut 80 ans de travail, soit deux vies, pour doubler son niveau de vie, alors que leurs parents doublaient leur niveau de vie en 40 ans et leurs grands-parents en à peine 15 ans. Les jeunes actifs qui veulent acheter leur premier appartement vivent dans une France où il faut dépenser un tiers de son revenu pour acquérir un logement, quand on arrive à obtenir un emprunt. Ajoutez à ça la violence de notre société, l’angoisse environnementale qu’on aurait bien tort de sous estimer…
Est-ce vraiment le monde que nous voulons pour nos enfants ? Est-ce vraiment étonnant que les jeunes votent massivement pour les partis extrêmes ? Je veux qu’Horizons propose un grand modèle de solidarité pour la jeunesse, pour les jeunes travailleurs, pour les jeunes familles qui bâtissent l’avenir du pays.
La troisième vérité que nous devons au pays est la réhabilitation de l’autorité. Trop longtemps autorité et oppression ont été confondues, alors qu’il n’y a pas de vraie liberté sans une juste autorité : autorité du juge, autorité du policier, autorité du maître, autorité des parents, autorité de l’élu… Dans un pays aussi divers que le nôtre, aussi peu spontanément enclin au civisme, aussi marqué par la violence de ceux qui remettent en cause les usages de la démocratie et les principes de la République, ne pas assurer cette autorité, c’est prendre le risque de voir la France se déliter, se désunir, se fracturer. Nous ne redresserons pas la France sans un puissant choc d’autorité. Je proposerai lors de notre Congrès de Marseille des axes pour retrouver une grande autorité régalienne de l’Etat, dans la sécurité, dans la justice, dont je continue à penser qu’elle est le maillon faible de notre système, sur l’immigration, où tant de transformations massives sont nécessaires.
La quatrième vérité qu’il est utile de dire, et qui est une condition de notre puissance future, c’est la nécessité de la reconquête productive. Nous avons trop longtemps préféré la consommation à bas prix de produits issus de l’autre bout du monde au fait de garder des usines sur notre territoire. Nous en payons le prix cruel en matière de prospérité et de souveraineté. Pour renverser cette tendance, nous avons eu raison d’engager aux côtés du président de la République un choc d’offre en 2017. Mais ce choc d’offre, qui a été salutaire pour notre économie, est en danger et il est fondamental de le défendre. C’est pourquoi Horizons fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter toute nouvelle hausse d’impôts et pour défendre la compétitivité de nos entreprises.
Ne nous mentons pas, ces quatre vérités, ces quatre choix sont faciles à formuler mais difficiles à mettre en oeuvre. Chacun d’eux est un effort parce que nous avons fait le contraire depuis des années. Parce que c’était plus confortable. Parce que c’était plus facile. Parce que nous avions perdu l’habitude des grands défis et des grands desseins.
2027 sera un rendez vous.
Un rendez vous où les Français devront faire des choix fondamentaux pour retrouver le chemin d’un avenir puissant, prospère et libre. C’est le seul avenir qui soit digne de notre belle et grande patrie.
Mes chers amis,
J’aimerais vous parler des heures encore. Je lis parfois dans la presse, même si je lis peu la presse, que les commentateurs trouvent que je ne parle pas assez. Disons que j’aime choisir mon moment, et qu’aujourd’hui, avec vous, j’aimerais aller plus loin.
Vous parler d’Ecole et de Justice.
Vous parler de Défense et d’agriculture et d’innovation.
Vous parler de tout ce que j’apprends en parcourant le pays.
Vous parler des Français, de l’identité de notre pays, de ses méandres, de ses atouts, de ses contradictions, de ses aspirations.
Mais je veux garder des choses à vous dire dans les mois qui viendront.
A Lille, le 16 mars, je vous parlerai méthode et calendrier. Car obtenir un mandat des Français et vouloir exercer le pouvoir, cela exige que l’on dise clairement comment les choses se passeront si les Français nous font confiance.
A Marseille, ensuite, nous parlerons de l’Etat, de sa responsabilité régalienne. Les premières conférences thématiques auront eu lieu et nous pourrons tracer quelques lignes claires sur des sujets essentiels.
Alors depuis Bordeaux, je veux vous inviter à travailler, à vous engager, à prendre le destin du pays dans vos mains.
En insistant sur un point essentiel.
C’est au fond la dernière vérité qu’il faut asséner et ne jamais oublier.
C’est que l’action politique est d’abord affaire de rassemblement.
Nous ne gagnerons qu’en travaillant avec des gens qui ne sont pas encore là. Avec lesquels nous n’avons pas toujours été sur la même ligne. Avec des femmes et des hommes qui ne pensent pas exactement comme nous. Qui n’ont ni les mêmes références, ni parfois les mêmes mots. Qui mettent des accents toniques à des endroits où nous mettons parfois des bémols. Mais qui ont en commun avec nous d’être attachés à la démocratie, à la souveraineté de la France, à la construction européenne, à l’économie de marché, et à la nécessaire solidarité entre les Français.
Compte tenu de la violence idéologique et de la suprématie politique de la France Insoumise sur la gauche, compte tenu de la séduction dangereuse du fourre tout démagogique prôné par Mme Le Pen, nous ne gagnerons que si se dessine un rassemblement au sein de l’espace central.
Deux élections législatives partielles se sont tenues récemment et une autre est en cours : ni dans les Ardennes, ni en Isère, ni dans les Hauts de Seine, nous n’avons été capables de nous parler. Les candidats de l’espace central sont partis en ordre dispersé. Partout nous avons pris nos responsabilités pour éviter que les candidats à l’extérieur de ce bloc central l’emportent.
Les forces politiques du bloc central participent au même gouvernement. Elles soutiennent le même gouvernement. Elles ont un intérêt commun à ce que la France ne sombre pas dans les extrêmes. Et pourtant elles sont incapables de s’entendre sur un programme, même minimal, de gouvernement. Incapables de se parler pour réfléchir ensemble à ce qui est essentiel au pays. Incapables de regarder comment elles peuvent éviter de s’affaiblir mutuellement.
La France a besoin du rassemblement de celles et ceux qui s’entendent sur l’essentiel.
Si, comme je le redoute, une nouvelle crise politique venait à provoquer, après juillet, de nouvelles élections législatives, nous ne servirions pas la France en laissant la dispersion prospérer.
N’aurions nous pas intérêt à constituer, sous une bannière commune, un Bloc Républicain et Démocrate, respectueux des différences de chacun, qui n’aurait pas vocation à remplacer les partis existants, mais qui indiquerait clairement la volonté de gouverner ensemble ?
Et en 2026, pour les élections municipales, allons nous laisser des femmes et des hommes membres de formations politiques qui concourent ensemble au gouvernement de la France partir en ordre dispersé, chacun revendiquant sa logique partisane, là où l’action locale, elle aussi, repose sur le rassemblement ?
Je suggère mes amis, qu’avec tous les responsables politiques qui se reconnaissent dans ce discours, avec tous ceux qui ont quelque chose à apporter à la France et qui veulent la servir, nous nous rencontrions tranquillement. Pour beaucoup de nos concitoyens, le Bloc Républicain et Démocrate existe déjà dans les faits. Faisons en sorte qu’il prévale dans les urnes !
Mes amis, l’union est un combat, et ce combat, nous y sommes prêts !
Le rassemblement est une nécessité, et nous y sommes prêts !
La préparation minutieuse et solide du rebond français est en jeu, et nous l’avons engagée !
La tâche est immense, mais j’ai confiance. En vous. Et en la France !
Vive la République et vive la France !